Il y a des lieux qui, sans prévenir, basculent dans l’histoire du cinéma. Ils deviennent des icônes, des repères, des objets de fascination. Le « escalier Joker », comme on l’appelle désormais entre fans, en fait clairement partie. Si vous avez vu le film Joker de Todd Phillips, sorti en 2019, vous avez forcément ce plan en tête : Arthur Fleck, maquillé, en costume crasseux mais flamboyant, danse seul sur une volée de marches grises sous un ciel pluvieux, tandis que la musique bat son plein.
C’est devenu une scène culte, un symbole de bascule, de transformation. Et surtout : un vrai spot de pèlerinage pour les fans. Alors, où se trouvent exactement les escaliers du Joker ? Que ressent-on en s’y rendant ? Et pourquoi cet endroit banal est-il devenu si puissant ?
Un escalier de briques et de légende
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les escalier Joker ne sont pas issus d’un décor de cinéma construit pour l’occasion. Non, ils existent bel et bien, en dur, dans les rues de New York, plus précisément dans le quartier du Bronx. Leur adresse exacte ? Entre Shakespeare Avenue et Anderson Avenue, à proximité de la 167th Street, dans le quartier de Highbridge.
Pour les puristes ou les curieux qui voudraient taper l’adresse sur leur GPS : les marches relient les blocs d’appartements à flanc de colline typiques du Bronx, à quelques pas du métro. Et lorsqu’on arrive en bas de ces marches, on comprend. Il y a quelque chose dans la perspective, dans la rudesse du béton, dans l’encadrement des immeubles de brique rouge, qui donne à cet escalier une allure presque mythologique. On s’attendrait presque à voir un clown en contre-plongée nous fixer intensément.

Un lieu ordinaire devenu extra-ordinaire
Avant 2019, ce lieu n’était rien de plus qu’un escalier comme on en trouve des centaines à New York : pratique, un peu triste, usé par les années. Mais depuis que Joaquin Phoenix l’a gravé à l’écran avec sa danse désarticulée et son regard fou, il s’est transformé en un lieu hautement symbolique, voire spirituel pour certains fans.
On y vient aujourd’hui pour rejouer la scène, se prendre en photo en costume ou simplement ressentir l’ambiance. Certains locaux, un brin agacés par l’afflux touristique, surnomment d’ailleurs l’endroit « le Walk of Shame », en clin d’œil ironique au contraste entre la noirceur du film et la gaieté touristique qui s’est emparée des marches.
Nous avons croisé sur place un couple venu du Canada, déguisé en Arthur et Sophie, le personnage fantasmé joué par Zazie Beetz. Ils nous racontent :
« C’est un peu comme marcher sur les traces de Batman à Gotham, sauf que là, c’est un Gotham réel. C’est notre façon à nous de dire qu’on comprend ce que le Joker ressentait. »
Pourquoi cet escalier fascine autant ?
Ce n’est pas juste une question d’esthétique ou de mise en scène. L’escalier du Joker cristallise un moment charnière dans le film. On y voit Arthur Fleck s’abandonner, lâcher prise, accepter sa propre folie. Ce n’est plus une descente aux enfers : c’est une renaissance. Ces marches, il les descend, mais psychologiquement, il s’élève. Il embrasse enfin son identité. Le Joker est né.
Et c’est peut-être pour cela que le lieu résonne autant. Il représente ce point de rupture que nous avons tous connu, ou craint, ou fantasmé. Ce moment où l’on cesse de vouloir rentrer dans le moule pour simplement être soi. Même si ce « soi » dérange. Même s’il fait peur.
Un spot Instagram… et une polémique locale
Depuis le succès du film, le quartier de Highbridge a vu défiler des milliers de touristes. Selfies, vidéos TikTok, reels en slow motion avec la fameuse danse… Le phénomène est tel que l’escalier est devenu un lieu de pop culture à part entière, presque au même rang que le banc de Forrest Gump ou la maison de Breaking Bad.
Mais tout cela n’est pas sans conséquence. Les habitants, souvent issus de milieux modestes, doivent jongler entre les fans costumés et la réalité d’un quartier encore en lutte contre la précarité. Certains y voient une gentrification déguisée, d’autres une opportunité touristique.
Comme nous le confiait un commerçant du coin, un peu las :
« Ils viennent pour une scène violente, dans un quartier qu’ils ne connaissaient pas avant. C’est bizarre. Mais bon, s’ils achètent une bouteille d’eau chez moi, je dis pas non. »
Y aller : conseils et ressentis
Si vous voulez vous rendre vous-même sur les escalier Joker, sachez que le lieu reste public et accessible à tout moment. L’idéal est d’y aller en journée, avec un bon appareil photo et des baskets (ça grimpe !). Et un petit conseil : évitez les heures de pointe si vous voulez éviter la foule de fans ou les jeunes vidéastes bruyants.
Une fois sur place, l’émotion est réelle. Que vous soyez cinéphile, photographe amateur ou simple curieux, il y a quelque chose d’intense à se retrouver sur ces marches. On regarde en haut, on imagine Arthur maquillé, en train de tourbillonner, la ville grise en arrière-plan. Et on comprend pourquoi ce lieu a marqué l’histoire.
En conclusion : des marches vers l’iconique
L’escalier Joker, c’est plus qu’un décor. C’est un symbole. De chute et de renaissance. De folie et de liberté. De cinéma et de réalité qui s’entrechoquent.
Il y a une beauté étrange dans ce contraste : un escalier banal, dans une rue banale, devenu un mythe moderne. Et peut-être est-ce là, justement, tout le pouvoir du cinéma : révéler l’extraordinaire là où personne ne regarde.
Alors si l’envie vous prend, un de ces jours, de faire un détour par le Bronx, ne vous contentez pas de descendre les marches. Dansez. Tournez. Levez les bras vers le ciel. Et laissez-vous contaminer, le temps d’un instant, par la douce folie du Joker.